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Les quinze samedis


Pax
Orléans, le 25 octobre 1896

Nos révérendes, vénérables Mères et bien chères Sœurs,
En vous envoyant le bouquet spirituel de notre séjour dans la Ville éternelle et de l’audience mille fois bénie dans laquelle nous avons reçu tant de faveurs de Jésus par son Vicaire ici-bas, j’ai réservé à dessein une des fleurs les plus précieuses, ou plutôt toute une guirlande de roses, pour vous la présenter à part, car elle demande une action de grâce spéciale et vous apportera une joie nouvelle ; j’ai la confiance aussi qu’elle sera pour notre chère Congrégation une source abondante de bénédictions célestes.
Beaucoup d’entres vous, nos bien chères sœurs, ignorent sans doute encore combien la Très Sainte Vierge s’est plu à nous montrer que notre œuvre aux Lieux Saints est vraiment sienne, et qu’elle la couvre de sa puissante protection ; toutes les heureuses nouvelles concernant cette chère fondation, nous sont arrivées, ou le samedi ou aux jours de ses fêtes ; il a deux ans, c’est le jour même du saint Rosaire que nous avons signé l’achat du terrain au Mont sacré des Oliviers ; cette année, notre divine Mère a voulu que l’audience si désirée fût retardée jusqu’en cette fête, et c’est à l’heure solennelle de l’Ave, qu’annonçaient toutes les cloches de la Ville éternelle, que nous nous sommes prosternées aux pieds du Vicaire de Jésus-Christ. La Reine du Rosaire pouvait-elle nous dire plus haut et plus suavement son amour et sa protection ? Ne devons-nous pas lui répondre par un redoublement de tendre dévotion, de filiale confiance et de zèle pour la gloire de son Fils et la sienne ?
Désirant ardemment que ces sentiments croissent dans nos âmes, comme nous y oblige l’esprit de notre sainte vocation, nous avons sollicité du Saint Père une faveur insigne : celle de célébrer tous les ans, dans chacune de nos maisons, les quinze samedis, en l’honneur des mystères du Rosaire, et d’inscrire ces communions au nombre des communions de Règle. Le Souverain Pontife a incliné un moment sa tête vénérable, puis, la relevant, il nous a dit : « Ma fille, je ne puis qu’approuver beaucoup cette dévotion, et j’accorde de grand cœur ce que vous me demandez. » …
Cette dévotion n’est point nouvelle dans notre chère congrégation ; nous sommes heureuses de vous le dire, nos bien chères Mères et Sœurs, elle a été pratiquée par nos vénérées premières Mères ; nous en trouvons la preuve dans nos plus anciens manuscrits. Le Souverain Pontife, qui nous autorise de si grand cœur à la généraliser désormais parmi nous, est appelé le pape du saint Rosaire et redit chaque année au monde, dans ses admirables encycliques, quels bienfaits la Reine du Ciel répand dans les âmes, par cette sainte pratique. Celle des quinze samedis ne nous surcharge d’aucune prière : elle consiste dans une direction spéciale de la sainte communion, … celles qui ne seront pas en retraite, pourront, sans y être obligées, employer leur oraison du soir à contempler le Mystère du jour, à remercier Notre Seigneur de l’avoir opéré pour nous, à louer la Très Sainte Vierge de la part qu’elle y a prise et à demander, par son intercession, que les fruits s’en répandent dans toute la Sainte Eglise et dans le monde entier. Chacune redoublera d’attention et de ferveur dans la récitation du chapelet et pourra dire un Magnificat en action de grâce…

Sœur Marie-Thérèse de Saint-Jean-de-la Croix.

La Mère sait comment accueillir les mystères de Dieu.


Seul le Fils est Dieu,
Lui seul est la manifestation du Père.
La Mère aussi, pour connaître Dieu, s’oriente entièrement vers le Fils.
Mais ces mystères divins et humains,
ces mystères publics et intimes que le Fils révèle au monde,
il les a déposés d’abord dans le cœur de la Mère.
La Mère sait comment accueillir les mystères de Dieu.
Ce n’est que dans la distance d’un profond respect, de l’adoration,
de la révérence aimante et en leur offrant un abri,
qu’il est possible de voir les choses de Dieu.
On ne peut pas, comme quelque fait de l’histoire ou de la science,
Se les approprier sans préparation ;
L’air des mystères célestes leur est tellement inhérent
qu’ils ne sont perceptibles que dans une atmosphère de silence,
de prière et de contemplation.
Or la Mère, par son silence et sa méditation,
crée cette atmosphère qui seule
nous permet de recevoir avec fruit les mystères du Seigneur.
Quand elle transmet à l’Eglise les mystères qu’elle a médités
et qu’elle a portés dans le sein de son âme,
ce n’est pas sans donner en même temps quelque chose de sa propre méditation.
C’est pourquoi les chrétiens ne trouvent le véritable accès au monde intérieur du Fils
que dans ce silence effacé du cœur de Marie
Les prières mariales exercent à la contemplation de la Mère
qui conduit à la contemplation du Fils.

Adrienne Von Speyr
La servante du Seigneur.


Regarde l’étoile, appelle Marie !



« Ô homme qui te sens dériver dans cette marée du monde,
Parmi les orages et les tempêtes,
Plutôt que marcher sur la terre ferme,
Ne détourne pas les yeux de l’éclat de l’astre,
Si tu ne veux pas sombrer dans la bourrasque.
Quand se lève le vent des tentations,
Quand tu es emporté vers les récifs de l’adversité,
Regarde l’étoile, appelle Marie !

Si tu es balloté par les vagues de l’orgueil, de l’ambition,
Du dénigrement, de la jalousie, regarde l’étoile, appelle Marie !
Si la colère ou l’avarice ou les sortilèges de la chair
Secouent la nacelle de ton âme, regarde vers Marie.

Si, tourmenté par l’immensité de tes crimes,
Honteux des souillures de ta conscience,
Terrorisé par l’horreur du jugement,
Tu te laisses déjà happer par le gouffre de la tristesse,
Par l’abîme du désespoir, pense à Marie !

Dans les périls, dans les angoisses, dans les situations critiques,
Pense à Marie, invoque Marie !

Que son nom ne quitte pas tes lèvres,
Qu’il ne quitte pas ton cœur et,
r> Pour obtenir le suffrage de ses prières,
Ne néglige pas l’imitation de sa vie.
Si tu la suis, point ne dévie ;
Si tu la pries, point ne désespère ;
Si tu penses à elle, point ne t’égares.
Si elle te tient, plus de chute,
Si elle te protège, plus de crainte,
Si elle te guide, plus de fatigue.
Avec sa bienveillance, tu parviens au port. »

Saint Bernard de Clairvaux
Louanges de Marie, Sermon 2, n°17, dans Sancti Bernardi Opera 4, Ed.J.Leclercq, 1966, p.34-35

Témoignage de nos sœurs d’Orléans

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Sous les bombardements en 1944.
« C’est le chapelet, l’invention géniale de la Sainte Vierge, qui nous soutient. »

Nuit du 19/20 mai.
Le cataclysme est si effrayant que tout le monde, plus ou moins habillé, descend au chœur, pour se réfugier près du bon Dieu. Dans notre chœur pourtant plus sourd que le dortoir nous avons entendu alors ce que nous n’aurions jamais pu imaginer. Nous nous attendions à tout moment à voir la voûte, les murs, s’écrouler sur nous, et nous nous serrions dans le fond sous la tribune des malades. C’était une vision d’enfer, on sentait comme une haine diabolique qui passait sur nous. La prière, la seule prière dont nous sentions le besoin dans cette affreuse angoisse, c’était le chapelet. Nous étions comme des petits enfants qui crient : Maman ! A genoux, les bras en croix, nous clamions les « je vous salue Marie »avec la ferveur et la confiance de ceux qui voient la mort prête à fondre sur eux. Au bout d’une heure à peu près, quand les avions ne passaient plus, quand on entendait seulement au loin les éclatements des bombes à retardement, nous avons dit de tout notre cœur un « Laudate » en action de grâce pour notre préservation et un « Libera » pour les victimes, et des invocations pour les mourants. A la lueur des cierges car il n’y avait plus d’électricité, nous avons récité nos matines ; et chacune a regagné sa cellule où beaucoup ont trouvé les vitres brisées, et toutes une grosse couche de poussière partout.

Nuit du 22/23 mai.
Le bruit des explosions, les ébranlements de l’air commencent. Nous disons le chapelet à genoux les bras en croix. Mais de plus en plus les détonations deviennent épouvantables, les portes et les fenêtres poussées avec violence menacent de s’arracher, les carreaux tombent, c’est un vacarme infernal. Nous nous rendons compte que nous sommes en plein sous le feu. Alors nous clamons notre prière bien plus encore que la première fois. C’est le chapelet, l’invention géniale de la Sainte Vierge, qui nous soutient. Elle connaît bien la nature humaine notre Mère. Le chapelet nous soutient physiquement, il capte la nervosité, il arrête l’effet de l’émotion trop vive. Le chapelet nous soutient moralement en nous donnant une confiance éperdue dans le secours du Ciel. La communauté reste calme, d’une ferveur admirable… … Enfin le bombardement s’apaise et nous sortons quand le jour se lève. Nous visitons notre pauvre maison qui vient d’être si fort secouée ; partout des vitres brisées, quelques fenêtres démolies, des trous dans le toit. Comme le bon Dieu nous a bien gardées : là où il avait des religieuses, au chœur ou à l’infirmerie, aucun dégât à constater, pas même un carreau cassé !

24-28 mai.
Nous sommes obligées d’adopter un règlement de guerre. Dans la journée nous descendons à la cave dès qu’il y a une alerte. Nous y récitons le chapelet jusqu’au signal de la fin… Le soir nous disons complies à 6h1/2, suivies des matines car on ne peut plus compter sur une nuit tranquille. La nuit nous organisons un service de garde : chacune veille une heure pour que les autres puissent reposer en paix. La veilleuse prie, récite son rosaire tout en prêtant l’oreille aux bruits du dehors et ainsi les « Ave Maria » montent toute la nuit de notre maison vers le Ciel.

Le Rosaire, une dynamique propre à l’amour.



Où l’on s’en tient à la répétition des Ave Maria d’une manière superficielle, on pourrait être tenté de ne voir dans le Rosaire qu’une pratique aride et ennuyeuse. Au contraire, il en est tout autrement si on regarde le chapelet comme l’expression de cet amour qui ne se lasse pas de se tourner vers la personne aimée par des effusions qui, même si elles sont toujours semblables dans leur manifestation, sont toujours neuves par le sentiment qui les anime.
Si nous avions besoin d’un témoignage évangélique à ce propos, il ne serait pas difficile de le trouver dans le dialogue émouvant du Christ avec Pierre, après la Résurrection : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? ». Par trois fois la question est posée, par trois fois la réponse est donnée : « Seigneur, tu sais bien que je t’aime. » La beauté de cette triple répétition n’échappe à personne : par elle, la demande insistante et la réponse correspondante s’expriment en des termes bien connus de l’expérience universelle de l’amour humain. Pour comprendre le Rosaire, il faut entrer dans la dynamique psychologique propre à l’amour.
Une chose est claire : si la répétition de l’Ave Maria s’adresse directement à Marie, en définitive, avec elle et par elle, c’est à Jésus que s’adresse l’acte d’amour. La répétition se nourrit du désir d’être toujours plus pleinement conformé au Christ, c’est là le vrai « programme » de la vie chrétienne. Saint Paul a énoncé ce programme avec des paroles pleines de feu : « Pour moi, vivre c’est le Christ, et mourir est un avantage. »(Ph1, 21), et encore : » Ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi. » (Ga2, 20). Le Rosaire nous aide à grandir dans cette conformation jusqu’à parvenir à la sainteté.


Jean Paul II, Le Rosaire de la Vierge Marie, au n° 26